« Une [organisation] qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une [organisation] décadente. Une [organisation] qui choisit de fermer les yeux sur ses problèmes les plus cruciaux est une [organisation] atteinte. Une [organisation] qui ruse avec ses principes est une [organisation] moribonde ». Aimé Césaire.
Par Baba M. Sayed
Convaincus que la délivrance de l'état d'indignité, pitoyable et misérable, dans lequel ils végétaient, depuis des siècles, dépend fondamentalement de leur capacité d'édifier un État moderne et souverain qui leur soit propre, les Sahraouis (aussi bien ceux qui se trouvaient au Sahara dit espagnol que dans les pays limitrophes, Algérie et Mauritanie) se sont massivement mobilisés, dans le cadre du F. Polisario, depuis 1973 dans un premier temps contre le colonialisme espagnol et ultérieurement contre les forces d'occupation marocaines, en vue d'arracher leur indépendance.
Trente sept ans après le déclenchement de la lutte de libération nationale sahraouie, il faut bien reconnaître que si les Sahraouis ont fait preuve, dans leur lutte pour leur liberté, de détermination et de courage en ne reculant devant aucun sacrifice pour concrétiser leur cher voeu de disposer, un jour, d'un État indépendant, leur direction, c'est le moins que l'on puisse dire, ne s'est pas toujours montrée digne de la confiance, presque aveugle, qu'ils ont placée en elle.
Prenant, le plus souvent, son obsessionnel souci de s'éterniser au pouvoir pour une « volonté désintéressée » de servir le pays, la direction sahraouie qui ne s'est pas toujours montrée à la hauteur des attentes et des espérances du peuple sahraoui n'a, généralement, pas pu trouver, du moins jusqu'à présent, la nécessaire juste mesure entre ses fâcheuses habitudes d'exercer, de manière solitaire, le pouvoir et le salutaire et impératif devoir d'y associer les plus larges secteurs de la société sahraouie. Ce qui ne peut, par ailleurs, être envisageable ni possible, cela va de soi, que par le truchement d'institutions nationales transparentes et largement représentatives, seuls cadres, appropriés et adéquats, pour la promotion et la préservation de l'intérêt national.
Si durant la guerre contre les forces d'occupation marocaines, les tares de l'organisation sahraouie (inexistence d'institutions crédibles), et les faiblesses de ses dirigeants (absence de critères reconnus et acceptés par tous pour la promotion des cadres) n'étaient pas connues du grand nombre, il en est autrement depuis l'arrêt des hostilités entre l'armée marocaine et l'armée sahraouie.
Depuis le cessez-le-feu intervenu en 1991, les Sahraouis se sont rendus compte que leurs dirigeants qui ne juraient que par la « volonté sincère » de la communauté internationale de faire des pressions sur le Maroc et de l'amener, de gré ou de force, à organiser le référendum d'autodétermination tant attendu, n'étaient pas les anges qu'ils croyaient. Du coup, ils sont devenus plus attentifs à leurs faits et gestes. Et vite, ils ont constaté que contrairement à ce qu'ils supposaient, leur armée, leurs services de renseignement, leur organisation politique et leur diplomatie sont des domaines sinistrés.
Désarmés et trahis par ce que leurs dirigeants appellent la communauté internationale, les Sahraouis étaient ainsi privés du seul moyen de pression qu'ils avaient, jusqu'alors, face à un ennemi dont la politique n'a jamais varié d'un iota à leur égard et à l'égard de leur pays. Celle-ci a consisté, depuis le 31 octobre 1975, à rendre l'occupation du Sahara Occidental irréversible quitte à la vider de ses habitants, par la terreur ou l'exil, consenti ou forcé.
Il a fallu qu'une poignée de militants de droits de l'homme dans les territoires occupés, conscients de la gravité du statu quo et de ses préjudiciables répercussions sur la lutte du peuple sahraoui, décident d'affronter, les bras nus, les forces d'occupation marocaines pour que l'état d'esprit des Sahraouis change. Si depuis le cessez-le-feu ils étaient abattus, déprimés, et révoltés par l'inaction de la direction sahraouie, avec le déclenchement de l'intifada en 2005, ils commencent à reprendre, après des années à broyer du noir, espoir et goût dans la lutte pour l'indépendance de leur pays.
Il faut cependant l'affirmer clairement, les efforts, souvent surhumains, déployés, avec détermination et panache, par les Sahraouis des zones occupées, pour sortir le combat de leur peuple de l'oubli où l'ont plongé deux décennies d'inaction d'une direction politique sahraouie, plus soucieuse de renforcer son emprise sur le peuple sahraoui que de le servir, ne peuvent se substituer à l'effort général et collectif que cette même direction (ou une autre à sa place) doit promouvoir et encourager, dans le cadre d'institutions crédibles et largement représentatives, pour défendre la cause nationale sahraouie.
Les combats solitaires et l'exercice solitaire du pouvoir, ne peuvent et ne doivent pas prendre le pas sur des institutions nationales, représentatives et crédibles, seules à même de permettre au peuple de conjuguer et d'unir ses forces et ses efforts pour combattre l'occupant marocain. Ces institutions représentatives et crédibles sont aussi, faut-il y insister, la meilleure base susceptible de permettre à l'État sahraoui de demain, unique garant de la liberté des générations sahraouie présentes et futures, d'apporter la preuve de sa fiabilité et de sa solidité .
02.01.10
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