29.9.08

Retour actuel sur la décolonisation inachevée du Sahara Occidental

Les actes du colloque de l’Université Nanterre

par Ali Omar Yara

Dans le cadre de la semaine annuelle de solidarité internationale supervisée par la ville de Nanterre, les trois associations qui ont organisé cette rencontre scientifique et militante, (AUCI, l’Université Paris X Nanterre, CORELSO, Vitry/Seine et la revue de l’Ouest saharien, Delémont, Suisse) ont lancé un mois auparavant une invitation internationale pour inciter les chercheurs à participer aux communications et aux débats. Il s’est inscrit dans le champ d’une pluridisciplinarité de recherche évitant le plus possible l’aspect purement militant ou à caractère polémique. Il s’est déroulé, le 24 novembre 2007 dans l’enceinte de l’Université de Nanterre, sur le thème tridimensionnel « Sahara Occidental : mutations géopolitiques, droits de l'homme et autodétermination ». Ces travaux sont publiés, depuis peu, sous le titre le Sahara occidental : une colonie en mutation , Paris, éd. De l’Harmattan, juillet 2008, 155 p.

Nous revenons sur le contexte de l’organisation de cette manifestation et la tentative d’intimidation de certaines personnes, apparemment volontaristes, envoyées par le consulat du Maroc, pour perturber, sans succès, cette rencontre et remettre en cause, le sens même de ce colloque. Nous relions cette manifestation scientifique aux autres aspects du conflit qui ont émergé depuis le dernier cessez-le-feu du 6 septembre 1991, soulevant des questions qui vont certainement stigmatiser l’issue de la décolonisation finale.

1. D’emblée, nous étions surpris par l’envoi d’une lettre ouverte, postée la veille, le 23 novembre 2007, par l’Association du « Sahara Marocain », adressée au Président de l’Université de Nanterre. Dans cette lettre, le Président de cette association a signé une requête mettant « en garde le Président » de l’Université « contre l’identité des organisateurs du colloque », visant essentiellement les Sahraouis, avec des termes méprisants et dignes du comportement d’un ignare en rage, niant en bloc leur identité culturelle et leur origine sociale.

Nous citons quelques passages de cette lettre ouverte : « Monsieur le Président, les personnes qui sont derrière cette initiative et qui animeront ce débat ne s'inscrivent véritablement ni dans l'esprit de cette histoire de lutte pour les libertés ni dans cette quête de promotion des idées novatrices qui donnent à votre Université toute sa force ». Il conteste la crédibilité des organisateurs, car « leur représentativité, dit-il, est inexistante, leur désir de paix n'est que formel. Par conséquent, nous sommes en droit de nous demander comment un tel groupuscule qui souffre de tant de maux peut se prévaloir de l'indulgence de votre Université ou convaincre l'assistance de sa légitimité et sa capacité à défendre la cause des sahraouis marocains ». Ces « mêmes personnes », poursuit la lettre ouverte, « déguisées en militants de la paix et des droits humains, qui viendront à Nanterre dénoncée sous le toit de votre Université le sort réservé au « peuple sahraoui » par le Maroc vous trompent et trompent vos étudiants ». Or, l’organisation et les communications du colloque n’étaient pas programmées par le Front Polisario. Cette rencontre universitaire était centrée sur la légitimité du peuple sahraoui à s’autodéterminer, sur les bases légales suivant les recommandations du droit international et les enjeux de celle-ci au regard des richesses considérables du pays.

En organisant ce débat, nous avons souhaité rencontrer des universitaires et des chercheurs marocains en sciences sociales, politiques et stratégiques, pour démêler, avec eux, les fils de cette question, considérée complexe. D’autant plus que Renaud Frossard, le Maître de conférence et Président de l’AUCI qui a accueilli la conférence, exigeait une rigueur scientifique des communications puisque cette association universitaire est tenue à valoriser la recherche en matière de développement social et économique des minorités en lutte pour leur liberté et pour un développement crédible. Les échanges que nous souhaitions ne se sont pas produits car les chercheurs marocains ne sont pas venus, mais seulement des journalistes, et pourtant le Maroc a formé des universitaires de grande qualité. Cette absence ne peut s’expliquer que par le désintéressement des intellectuels du Maroc à la question du Sahara occidental, censée être « leur question nationale ». Elle est justifiée aussi par leur crainte, à quelques exceptions près, d’adopter une démarche critique vis-à-vis du Palais, détenteur du monopole « de légitimité ».

2. Si, nous constatons que quelques appellations ont disparu du langage médiatique marocain, pour désigner les Sahraouis, tels les mercenaires, les communistes ou les séparatistes, etc., le Maghzen revient à d’autres procédés pour entraver l’indépendance des Sahraouis, à savoir la « manipulation des symboles » et la dérégulation de l’image d’inspiration de l’identité du peuple sahraoui pour sa lutte de libération nationale depuis 1973, voire avant cette date. Citons le cas de la Résistance des Ahel Ma El Aïnin (entre 1890-1920). On présume d’ailleurs quelle fut mandatée par les Rois du Maroc pour lutter contre le colonialisme français. Or, les historiens, les plaidants de l’Espagne et de la Mauritanie devant la CIJ en 1975, ainsi que les rapports des officiers français coloniaux eux-mêmes, ont prouvé que, entre 1908 et 1920, les Ahel Cheikh Ma El Aïnin avaient un double projet : défendre le Sahara occidental contre la domination de la France et s’emparer, du pouvoir au Maroc.

Dans les temps actuels, le Maroc table sur ce même procédé pour récupérer l’héritage historique des Sahraouis qui ne lui n’appartient pas et qui se cache derrière l’impératif « de l’acte d’allégeance » des zawayas au roi. Dans ce sens, le colloque des 16 et 17 juin 2008, à Laâyoune (territoires occupés) sur Sidi Mohamed Bassir de la Tarika Derkaouia Ibrahimia Al Bassiria, (né en 1944, disparu en 1970), considéré « comme l'une des figures de la résistance marocaine au Sahara », s’appuie sur les mêmes présuppositions.

3. De même, la légitimé du peuple sahraoui n’est pas souvent abordée comme une question politique posée dans les écrits des développementalistes sur le Sahara occidental occupé, leurs analyses étant déconnectées de toute réalité sociale. Ils tablent sur la « réussite » du défi économique et social lancé par le Maroc dans les territoires occupés. Citons : Mohamed Cherkaoui (le Sahara, liens sociaux et enjeux géostratégique, Oxford, éd. Bardwell Press, 206 p.) ; Henri-Louis Védie, (une volonté plus forte que les sables, Paris, éd. Eska, 2008, 213 p.), et d’autres auteurs encore, comme Abdelhamid El Ouali, Mohamed Bennani, Ouazzani Chahdi, Mohamed Benouna et Abdelouhab Maalmi.

4. Une autre manière de manipuler négativement la lutte du peuple sahraoui s’illustre dans les actions politico-diplomatiques des envoyés spéciaux des Secrétaires généraux des Nations unies, notamment celle de Peter Van Walsum, dernier envoyé spécial qui a supervisé quatre séries de pourparlers infructueux et autres rencontres informelles entre le Maroc et le Front Polisario. Au lieu de rester dans la stricte limite de la qualification juridique du droit international étayé par les quarante résolutions des Nations unies qui donne priorité à la volonté des peuples non encore autonomes, ce diplomate décrète l’impossibilité d’organiser un référendum d’autodétermination et éloigne par conséquent la chance du vote tant espéré des Sahraouis par les urnes, Le concept de réalisme que ce diplomate met en avant, prescrit, en effet, le fait accompli et la primauté de la raison instrumentale de l’instant contre la logique d’un autre processus en marche qu’il ne peut et ne veut pas prendre en compte.

Le mouvement de libération sahraoui s’est rendu compte que toutes les concessions faites au Maroc et, par-delà, à la communauté internationale : l’acceptation du stationnement permanent de 65 000 soldats opérationnels sur les fortifications, la libération précipitée de 2700 captifs marocains avant le jour J. (Jour du référendum) ; les graves erreurs commises par les soldats fonctionnaires Minurso sur le sol sahraoui, le non-déploiement de cette force d’interposition dans les territoires occupés pour protéger la population sous le siège de la police marocaine, n’ont pas fait bouger les Rois, et non plus la France protectrice. Le refus du Front Polisario du renouvellement du mandat de Walsum a, peut être mis fin à cette hémorragie des concessions.

Mais, si la thèse hypothétique de l’autonomie, solution miracle avancée par ce diplomate et d’autres qui l’ont avancée avant lui, et présente peut être à l’esprit du new-représentant américain, était retenue, quelles sont les chances d’application de ce statut dans les territoires libérés ? Le Polisario doit-il se soumettre à l’heure de l’autonomie ? Les Sahraouis des camps de réfugiés, la plus grande majorité de ce peuple, doivent-ils entrer chez eux pour adhérer à cette offre royale, sachant que la création du mouvement de libération nationale sahraouie, le 20 mai 1973, a été décidée pour contrer le plan d’autonomie proposé par les franquistes en 1967 ? Bien évidemment, non. L’autonomie du Sahara occidental, même sans référendum, sera-t-elle appliquée uniquement dans les territoires occupés avec l’impératif de célébrer les prières au nom du Roi, commandant des croyants ? Là, le Maroc va se heurter à de sérieuses et incommensurables complications. La propagation du soulèvement de 2005 qui a pris corps dans les territoires occupés, le découpage administratif impulsé par le Ministère de l’intérieur marocain qui ne se limite plus aux frontières héritées du colonialisme, puisque maintenant on ne distingue plus la région de l’ex-Sahara occidental des autres régions bidanes (Tantan, Goulimine et Assa), se tourneront contre l’occupant. D’autant plus que ce bloc historique lutte désormais pour l’indépendance.
Plus encore, la petite région d’Aït Bamran, cédée par les Franquistes en 1969 à Hassan II, sans référendum et jetée dans la poubelle de l’histoire du Makhzen, veut être rattachée aux Sahraouis à partir des « provinces du Sud ». Les Baamranis qui ont combattu avec nous, Sahraouis, en 1958, veulent, à juste titre, relever la tête car le Makhzen leur a rien apporté.
Ces événements nous permettent de conclure que le sort des Sahraouis ne se joue plus uniquement aux Nations Unies, d’une façon unilatérale, comme ce fut le cas durant les années 1975-2005. Aujourd’hui, la résistance multiforme du peuple sahraoui non encore libre l’a emportée en filigrane sur la domination du Maroc sur les territoires sahraouis.

Ali Omar Yara, Paris, le 29 septembre 2008

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