par un observateur de longue date du conflit du Sahara Occidental*
Une première depuis 1991 : Le Maroc menace de mener une opération militaire d’envergure au Sahara Occidental, contre le Front Polisario. Une menace brandie par les officiels et aussitôt reprise par les relais traditionnels de la société civile : la presse marocaine monte d’un cran, les partis politiques sont impliqués et le sujet fait la une des médias locaux et régionaux.
Jusque là, le Maroc a régulièrement protesté contre les activités du Front Polisario dans les zones se trouvant sous son contrôle, mais n’a jamais agité la menace de mener des attaques militaires dans ces régions.
Que s’est-il passé au juste ? Chronologie des faits saillants
- Début mars 2018, le Front Polisario a tenu une grande réunion nationale interne dans la localité de Bir Lehlu. Dans son allocution de clôture, le Président sahraoui Brahim Ghali a précisé que « le lieu de la tenue de cet évènement était un message clair aux ennemis et aux amis »[SPS 12.03.18] . Ce n’était pas la première fois que le Front Polisario tient une réunion interne dans les territoires du Sahara Occidental sous son contrôle.
- En marge de la tenue de cette réunion nationale, le Président sahraoui reçoit les lettres de créances des ambassadeurs de Cuba [SPS 09.03.18] et de la Namibie [SPS 09.03.18] https://www.spsrasd.info/news/es/articles/2018/03/08/14099.html auprès de la RASD, avec résidence à Alger, le 08 mars 2018 toujours dans la localité de Bir Lehlu.
- La mi-mars 2018, des médias sahraouis ont annoncé l’intention du Front Polisario de transférer certains sièges des institutions vitales dans les territoires sous son contrôle (notamment celui du Ministère de la Défense de la RASD).
- Le 1er avril 2018, soit plus de deux semaines après ces annonces, le Ministre des Relations Extérieures et de la Coopération marocain Nasser Bourita a réuni les Commissions des affaires étrangères des deux chambres du Parlement, pour examiner de prétendues violations du cessez-le-feu par le Front Polisario. Les déclarations de certains parlementaires à l’issue de cette réunion appellent même à engager des actions militaires contre le Polisario (des frappes aériennes). [MAP 01.04.18]
- Une lettre de protestation est aussitôt adressée par la Représentation Permanente du Maroc à New York au Conseil de Sécurité. La lettre se plaint de « violations du cessez-le- feu», commises par le Front Polisario (situation à Guergerat et récentes déclarations).
- La lettre qualifie ces développements de « Casus belli ». [Quid.ma 02.04.18] Des manœuvres militaires sont engagées au sud du Maroc. On ignore cependant si elles ont été prévues de longue date ou décidées suite à cette escalade.
- A deux reprises, le Porte parole du Secrétaire Général des Nations Unies confirme que la Minurso n’a relevé aucune violation de l’accord de cessez-le-feu et dément ainsi, indirectement, la version marocaine, tout en appelant à la retenue. [UN Pressbriefing 04.04.18] et [UN Pressbriefing 05.04.18]
- Le 04 avril 2018, la version revue et corrigée du rapport annuel du Secrétaire Général de l’ONU sur le Sahara Occidental est rendue public [S/2018/277] . Elle évoque des faits représentant des violations de l’accord selon les termes du rapport, commis de part et d’autre. Les dernières accusations marocaines n’ont pas trouvé d’écho dans le rapport, ce qui constitue un démenti indirect.
- Le 09 avril 2018, une réunion regroupant les leaders des partis politiques est tenue à El Ayoune, pour marquer « le consensus national » et la nécessité de riposter contre les violations présumées. La réunion adopte la « Déclaration de Laayoune ». [MAP express 09.04.18]
Pourquoi l’attitude marocaine est-elle incohérente ?
Une multitude de raisons peuvent être invoquées, parmi lesquelles :
- Les accusations du Maroc ne sont pas claires et précises et changent parfois en fonction du leur source. Elles évoquent toutes des violations de l’accord de cessez-le-feu, parfois, en protestant contre la situation à « Guerguerat » qui date de plusieurs mois, mais également contre la récente décision de transférer des institutions sahraouies dans les territoires contrôlés par le Front Polisario, ce qui ne constitue pas non plus une nouveauté.
- Le Maroc cultive l’ambigüité sur les territoires qualifiés de « se trouvant à l’Est du Mur ». En effet, la zone tampon ou démilitarisée constitue une bande de 5km à l’Est et au Sud du Mur de 2700 km qui sépare le Sahara Occidental en deux parties. En dehors de cette bande, il s’agit bien de territoires administrés par le Front Polisario, depuis la signature du cessez-le-feu en 1991.
- L’annonce de transférer certaines institutions sahraouies aux territoires libérés s’inscrit dans le prolongement d’une situation déjà existante. Ces territoires abritent, depuis des années, des institutions civiles et militaires de la RASD : les commandements des régions militaires de l’Armée Populaire de Libération Sahraouie, l’essentiel des troupes du Front Polisario, l’hôpital Navarra et l’école El Mahfoud Ali Beiba de Tifariti [El Mundo 18.12.2011] et le monument abritant la sépulture de Feu Mohamed Abdelaziz [Jeune Afrique 03.06.13]
- Plus encore, des manoeuvres militaires, à balles réelles, sont organisées chaque année par le Front Polisario dans les régions sous son contrôle, notamment à Aghouinit [vidéo] .
- Les incidents cycliques provoqués par le Maroc à l’approche de chaque réunion annuelle du Conseil de Sécurité jettent un sérieux discrédit sur ses intentions. Rappelons-nous du froid, puis du retrait de confiance à Christopher Ross en 2012[Le Monde 18.05.2012] , de la campagne anti-américaine en 2013 [Le Figaro 22.04.2013]
(après l’inclusion de la proposition d’élargissement de la Minurso aux droits de l’Homme), de la campagne contre Ban Ki-Moon en 2016 [Orient XXI mars 2016]
et de l’incident de Guerguerat en 2017.
- Sur les réseaux sociaux, les activistes sahraouis ont relevé des d’incohérences dans les discours des représentants de la société civile marocaine, voire ceux des officiels, avec des confusions dans les noms des villes du territoire ou dans leur emplacement sur la . [Sur des vidéos publiées par ces activistes, on pouvait voir des responsables marocains appeler à contrer les violations dans la région de « Nefertiti », au lieu de « Tifariti »]
- Le Royaume du Maroc souhaite, vraisemblablement, faire en sorte que le retour aux négociations politiques, prôné par les résolutions successives du Conseil de Sécurité et retardé par le Maroc, devienne une fin en soi et non pas un moyen d’atteindre une solution durable.
Une tentative d’analyse
Plusieurs pistes de réflexion peuvent être invoquées pour expliquer l’attitude récente du Royaume Chérifien :
- La première piste, qui est la plus évidente, mais qui reste au demeurant plausible, comme à chaque mois d'avril, le Maroc tente de créer des problèmes secondaires, en faisant dans le sensationnel au détriment de l'essentiel, pour détourner l'attention du Conseil de Sécurité sur le problème principal, à savoir organiser des discussions directes pour trouver une solution politique permettant l'autodétermination du peuple sahraoui.
- La deuxième étant une grave crise au Palais, notamment avec la maladie (grave ?) du Roi, son divorce (présumé ou effectif ?) avec Selma Bennani,son absence prolongée du pays et des médias (selon la presse, depuis la fin janvier 2018), d’où le besoin, voire l’impératif, de « faire diversion » en jouant sur l’élément fédérateur en vue d’éviter tout glissement de la situation. Rappelons-nous que la Marche verte a permis, à l’époque, à Feu Hassan II de mettre fin a une série de coups d’Etat.
Donc piste n°2: le Palais souhaite-t-il fédérer le peuple marocain en faisant la guerre au « Grand méchant loup » : le Front Polisario, pour se maintenir et dépasser la zone de turbulences ?
- La piste n°3 est que le Palais souhaite en finir avec les contestations sociales au Rif et à Djerada. Des troubles amplifiés par une situation économique difficile, caractérisée par une dette intérieure et extérieure très élevée, mais surtout, des troubles qui commencent à s’inscrire dans la durée. Le Palais souhaite-t-il détourner les regards de la population marocaine vers l'ennemi traditionnel qui fait, plus ou moins, consensus au Maroc : le Polisario ?
- La 4ème piste, la plus intéressante, est que le Maroc s'inscrit, à travers cette démarche, dans une dynamique internationale dont les contours demeurent encore imprécis. Rappelons-nous de la récente visite du Ministre Bourita en Israël, un pays que le Maroc ne reconnait pas officiellement, une visite dont l’objet et les enjeux n’ont pas été divulgués. Mystère !
De plus, devant les menaces marocaines d'attaquer le Polisario, la France observe un silence complice. Le Maroc n'aurait jamais fait une telle déclaration sans le consentement de Paris. S’agit-il d'une tentative de titiller l'Algérie, qui ne veut pas du G5 français au Sahel ? Et dont la doctrine militaire est réfractaire à toute intervention militaire hors des frontières ?
Par ailleurs, avec le désengagement américain annoncé de la Syrie, sommes-nous devant une tentative de créer de nouveaux foyers de tension pour détourner les regards et l'attention de la communauté internationale, et permettre ainsi aux parties impliquées dans le conflit syrien de « filer à l’anglaise » ?
- 5ème et dernière piste : Le Maroc aurait-il était séduit par l’intervention militaire turque dans le nord de la Syrie contre les mouvements kurdes constituant des bases arrières du PKK ? Au delà du bien fondé, ou pas, de cette opération baptisée «Rameau d'olivier» lancée fin janvier 2018, il est intéressant de noter que la communauté internationale n’a à aucun moment obstrué, ni condamné son déroulement.
La Turquie a mis à profit la confusion de la crise syrienne et les tentions entre les différentes parties impliquées (notamment les Etats-Unis et la Russie) pour passer à l’action et réaliser un objectif stratégique majeur. Jusque là, la Turquie s’en sort bien vis-à-vis de la communauté internationale.
Qu’en pensent les Sahraouis ?
Le retour à la guerre aura certainement un coût humain, militaire, financier, mais aussi politique et diplomatique.
Les réfugiés sahraouis, surtout ceux issus de la nouvelle génération du Front Polisario, se trouvent dos au mur, vingt-sept ans après la conclusion d’un cessez-le-feu en vue d’organiser un référendum d’autodétermination qui ne verra sûrement pas le jour.
Honnêtement, la probabilité que le Maroc aille jusqu’au bout de ses menaces est minime. Mais une chose est sûre, le peuple sahraoui attend avec impatience, depuis plusieurs années, une telle occasion pour reprendre la lutte armée. Ce n’est qu’un secret de polichinelle, car cette référence est même incluse, depuis quelques années, dans les rapports onusiens, notamment ceux du Secrétaire Général.
La nuance à saisir est que les Sahraouis ne veulent pas tirer le premier coup de feu. La rupture d’un accord de cessez-le-feu aura un coût politique considérable, que la partie initiatrice devra supporter. La position défensive serait largement plus confortable pour les Sahraouis vis-à-vis de la communauté internationale.
La guerre aura des conséquences négatives pour les Sahraouis, mais fera aussi très mal au Maroc, dont les relations avec ses alliés du Golf ne sont plus au beau fixe. Aussi, le récent retour de John Bolton aux affaires aux Etats-Unis d’Amérique a été qualifié de mauvaise nouvelle par le Palais Royal marocain. Les Etats-Unis pourraient prendre leurs distances vis-à-vis du Maroc à la faveur d’une position plus équilibrée.
Par ailleurs, les observateurs et connaisseurs du dossier estiment que l’Algérie a toujours affiché des réserves par rapport au retour du peuple sahraoui à la lutte armée. Ceci s’explique par le fait que les autres frontières algériennes avec le Sahel, la Libye et la Tunisie sont déjà perturbées par les activités de groupes terroristes.
Cependant, ces réserves portent surtout sur le retour à la guerre à l’initiative du Front Polisario et seront, certainement, levées en cas de rupture franche et directe du cessez-le-feu par le Maroc.
11.04.18
* arso publie exceptionellement ce texte bien que l'auteur ait désiré garder l'anonymat
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10.4.18
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