par Maître Takioullah Eidda
A- GENÈSE DE LA LOI SUR LA NATIONALITÉ:
Aussitôt indépendante, la Mauritanie a mis en place une législation rigoureusement exclusive au port de sa nationalité. Et pour cause: les voisins, notamment le Maroc, suite aux ralliements de quelques mauritaniens à son projet expansionniste, lui niaient sa naissance, son identité, mais aussi sa viabilité institutionnelle et politique.
Il fallait donc non seulement semer et cultiver une fierté nationale propre aux mauritaniens, longtemps diluée dans le tissu socio-culturel et démographique du voisinage, mais aussi dissuader fortement la transhumance de la nationalité naissante, et ce, dans le but de protéger les intérêts supérieurs de l’État mauritanien qui venait tout juste de voir le jour.
Le 13 juin 1961, le législateur mauritanien a matérialisé la fermeté de son intention avec la mis en place de la loi 1961-112, portant Code de la nationalité mauritanienne, dont les articles 30 & 31 illustres bien la gravité de la situation et des circonstances:
Art. 30. Perd la nationalité mauritanienne, le Mauritanien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère.
Art. 31. Un Mauritanien, même mineur, ayant une nationalité étrangère peut être autorisé sur sa demande à perdre la nationalité mauritanienne. Cette autorisation est accordée par décret.
De 1961 à 2010, ce Code n’a connu aucun changement.
Les autorités, pour des raisons pratiques, ont adopté une posture de tolérance, équivalente à un aveuglement volontaire. Si bien que presque TOUTE la nomenclatoura ou l’élite du pays, à commencer par certains Présidents, en passant par des ministres, des députés, des hommes d’affaires, sans parler de leurs familles, ont acquis de fait, la double nationalité de plusieurs États africains, européens, américain, canadien et, bien sûr, des pays arabes et du Golfe-Persique!
B- LOI DE 2010 ÉTABLIE UN POUVOIR DISCRÉTIONAIRE NON CIRCONSCRIT:
En 2010, avec la Loi No 2010-023, l’État a présenté des amendements substantiels au Code de 1961, mais sans jamais osé le moderniser pour répondre aux aspirations des mauritaniens et à la réalité économique liée au phénomène de la globalisation.
En effet, douze nouveaux articles ont été intégrés au Code, avec la réécriture des principaux articles, à savoir 31 à 33 !
À l’article 31, on permet le port de la double nationalité, sur DEMANDE et avec AUTORISATION discrétionnaire du Président de la République!
Quant à l’article 33, on maintient l’épée de damoclès, pour une période additionnelle de 10 ans, sur la tête de tout bénéficiaire de la nationalité par naturalisation, tout en renforçant le spectre de l’apatridie.
Le seul mérite des amendements de 2010, est qu’ils ont permis au Code de la Nationalité de sortir de l’état léthargique dans lequel il s’y trouvait et de faire naitre, chez les titulaires de la double nationalité, une lueur d’espoir quant à la possible légalisation de leur statut.
Donc, des amendements timides, sélectifs, où les principaux droits accordés ont été soumis à un pouvoir discrétionnaire absolu au sommet de l’État, mais dépourvu, quant à son exercice, de paramètres clairement définis.
C- PROJET DE LOI DE 2021 ET ANTI-CONSTITUTIONALITÉ & DISCRIMINATION:
Le 17 juin 2021, aux termes du communiqué du Conseil des Ministres et la conférence de presse ministérielle qui a suivie, le gouvernement a décidé de faire sauter complètement le verrou de l’article 31 et permettre ainsi, sans formalité, à tout mauritanien d’acquérir une, ou plusieurs, nationalité additionnelle.
Excellent!! Mais à quel prix?
En effet, le tout nouveau projet de loi interdit aux titulaires de la double nationalité de concourir aux postes politiques décisionnels et électifs, à savoir, notamment: les postes du Président de la République, de Ministre/équivalent, de Conseiller Régional, de Député, de Maire, de Conseiller municipal …etc!
L’exclusion de ces postes aux titulaires de la double nationalité est à sa face même anti-constitutionnel et discriminatoire aux regards d’au moins huit dispositions impératives de la Constitution mauritanienne, plus spécifiquement ses articles 26 & 47.
Cette exclusion est aussi manifestement contraire aux multiples Traités et Conventions Internationaux que la Mauritanie a ratifiés.
En fait, ce nouveau projet de loi n’accorde aux titulaires de la double nationalité, en grande partie issus de la diaspora à l’étranger, qu’un seul droit: le droit de visiter la Mauritanie en tant que TOURISTE! Rien de plus!
En effet, les titulaires de la double nationalité se trouvent dépouillés de leurs droits civils et politiques, puisqu’ils ne peuvent assumer aucune charge au sein des instances ÉXÉCUTIVES DÉCISIONNELLES dans leur propre pays, encore moins participer en tant que candidats, par la voie des URNES, à l’élaboration et la mise en place de programmes de développement local ou national visant à faire avancer la Mauritanie !
Or, qu’on le veuille ou non, les membres de la diaspora, de par leurs parcours et leur détermination, sont les plus diplômés, les plus éduqués, les plus disciplinés, les plus organisés, les plus structurés, les plus ouverts socialement, les plus autonomes financièrement, les plus débrouillards et les plus créatifs, pour ne citer que ces quelques qualités! En fait, les membres de la diaspora sont des citoyens libres, qui osent et qui construisent là où ils ne possédaient RIEN auparavant!
Comment un État sous développé, extrêmement PAUVRE en ressources humaines et RICHE en ressources naturelles, comme la Mauritanie, peut se passer de sa diaspora et ses technocrates dans son projet de développement durable ?
Pourtant, le moins que l’on puisse dire est que les titulaires de la double nationalité constituent, pour l’État mauritanien, un véritable pont avec les autres, dans un monde globalisé, et une réelle manne intellectuelle et financière!
Cette loi vise donc à assoir et institutionnaliser une tare, de surcroit un chauvinisme confortablement allongé dans une ineptie.
Devant un tel mépris, il n’est pas sans intérêt de se demander si l’objectif de cette nouvelle loi n’est pas de favoriser, la retraite venue, ceux qui sont issus des institutions militaires et para-militaires, lesquelles institutions imposent à leurs membres l’interdiction, en tout temps, d’acquérir une nationalité autre que mauritanienne!!?? J’espère sincèrement, et de tout cœur, que NON!
En effet, devant une telle pauvreté et un tel sous-développement systémique et viscéral, la Mauritanie a besoin de tous ses enfants, chacun dans son domaine de connaissance et d’expertise, afin de la ramener au niveau où elle doit y être, compte tenu de ses immenses ressources naturelles, sa grande superficie et du nombre limité de sa population.
Il est donc temps de se DÉCOMPLEXER et d’ouvrir grande la porte aux esprits libres et aux compétences créatrices de richesses, ce qui caractérise les membres de la diaspora, plutôt que de VÉGÉTER DANS LA MÉDIOCRITÉ, le communautarisme sectaire, et la psychose de la peur de l’autre.
«.وَلْتَكُن مِّنكُمْ أُمَّةٌ يَدْعُونَ إِلَى الْخَيْرِ وَيَأْمُرُونَ بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَوْنَ عَنِ الْمُنكَرِ وَأُوْلَـئِكَ هُمُ الْمُفْلِحُونَ»
Maître Takioullah Eidda, avocat
Nouakchott, Mauritanie.
19.06.21
eidda.avocat[at]hotmail.com
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DOUBLE NATIONALITÉ: CE QUE LE GOUVERNEMENT ACCORDE DE SA MAIN DROITE À LA DIASPORA, LE RETIR DE SA MAIN GAUCHE À LA MAURITANIE ET SON DÉVELOPPEMENT!