16.11.15

MAROC-MAURITANIE: DÉSINFORMATION ET MÉPRIS ENDÉMIQUES

par Me Takioullah Eidda

Le site "Lemag" marocain, publiait le 12 nombre dernier une information, reprise par Cridem, du journal londonien "Al Quds Al Arabi" selon laquelle «le président mauritanien serait en colère contre le Maroc à cause du fait qu’il aurait été incapable d’obtenir une audience royale à New Delhi, en marge du récent sommet Afrique Inde organisé il y a deux semaines.»

Or, le journal "Al Quds Al Arabi" n’a jamais écrit que le Président Mohamed Abdel Aziz a demandé de rencontrer le roi Mohamed VI, ni même suggéré qu’une telle demande a été faite, comme l’atteste la version originale de son article disponible sur son site à l’adresse: http://www.alquds.co.uk/?p=432650
En fait, cette fausse information nous confirme, encore une fois, le degré de l’enracinement de la culture de la désinformation et de la fumisterie au sein des médias marocains, plus particulièrement la presse électronique, à l’instar du "Lemag.ma", mais aussi, HÉLLAS, de certaines presses mauritaniennes quand vient le temps de parler des relations maroco-mauritanienne.
Il faut dire toutefois, en y regardant de près, que le Président Aziz a toutes les raisons de mettre en veilleuse les relations avec le Maroc, compte tenu de son traitement discriminatoire à l’égard des ressortissants mauritaniens et de son paternalisme diplomatique endémique à l’égard de la Mauritanie.

I- TRAITEMENT DISCRIMINATOIRE :
L’un des symboles des plus importants et des plus objectifs, dans la qualification de bonnes relations diplomatiques entre les États, est sans aucun doute la libre circulation des personnes et le démantèlement des entraves qui s’y rattachent, notamment l’exigence de visa. Or, c’est là où le bas blesse quand vient le temps de qualifier les relations mauritano-marocaine.
Le mauritanien n’a pas besoin de visa pour se rendre dans tous les voisins, notamment l’Algérie, la Tunisie, le Niger, le Sénégal, le Mali et la Libye, excepté le Maroc!
Pourtant, sont exemptés de visa d’entrer au Maroc, les sénégalais, les maliens, les nigériens, les ivoiriens, les guinéens, les algériens, mais aussi les ressortissants de tous les pays suivants: Allemagne, Andorre, Anguilla, Antilles Néerlandaises, Arabie Saoudite, Argentine, Aruba, Australie, Autriche, Bahreïn, Belgique, Bermudes, Brésil, Bulgarie, Îles Caïmanes, Canada, Chili, Chypre, Congo, Corée du Sud, Côte d'Ivoire, Croatie, Danemark, Émirats Arabes Unis, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Gibraltar, Grèce, Guadeloupe, Guam, Guinée, Guyane Française, Îles Cook, îles Turks et Caicos, Îles Vierges Britanniques, Îles Vierges des États-Unis, Indonésie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Koweït, Lettonie, Libye, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Mali, Malte, Mariannes du Nord, Îles Mayotte, Mexique, Monaco, Montserrat, Niger, Niué, Norfolk, Île Norvège, Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande, Oman, Pays-Bas, Pérou, Philippine, Pologne, Polynésie Française, Portugal, Qatar, République Tchèque, Réunion, Roumanie, Royaume-Uni. Russie, Samoa Américaines, Sénégal, Singapour, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Tunisie, Turquie, Venezuela.v Mais alors pourquoi? Mystère et boule de gomme!
Certains disent que c’est pour des raisons de sécurité, du fait que la majorité des sahraouis seraient porteurs de passeports mauritaniens, ce qui oblige le Maroc d’avoir un contrôle en amont par les formalités de visa. Cet argument est à sa face même fallacieux!
Tout d’abord, l’imposition de visa existait bien avant le conflit du Sahara Occidental. De plus, les sahraouis entrent au Maroc sans visa grâce à des passeports espagnols et des passeports de commodité algériens, alors que l’Algérie impose le visa d’entrer aux marocains!!
D’autres «avocats Vergès» allèguent que c’est une question de réciprocité diplomatique. Cet argument est tout aussi fallacieux que celui relatif à la sécurité !
L’exemple de l’Algérie et des pays occidentaux est édifiant à cet égard. En effet, l’Algérie exige de tous les ressortissants marocains l’obtention d’un visa d’entrer, alors que le Maroc l’avait unilatéralement, purement et simplement, supprimée pour les algériens!! C’est le cas aussi des USA, du Canada, de la France, de tous les pays de l’Union Européenne et bien d’autres comme la Suisse, le Philippines, le Venezuela ... et j’en passe. Alors pourquoi ne pas agir de la sorte avec la Mauritanie, supposément un pays "frère" et voisin?
En fait, selon toute vraisemblance, la position du Maroc d’exiger un visa aux mauritaniens relève du mépris et de l’opportunisme financier et rien d’autre! Sinon, pourquoi traiter la Mauritanie de façon si discriminatoire et si minable par rapport à un pays notoirement ennemi comme l’Algérie ou des pays si lointains comme la Guinée, la Côte-D’ivoire, le Pérou ou encore l’Argentine?
C’est à nos «frères» marocains de nous répondre rationnellement et objectivement, car nous sommes devant une position et un discours manifestement antinomiques, voire inconciliables!
Il est toutefois certain que le Maroc tire de cette formalité consulaire en Mauritanie un avantage financier colossal qui se chiffre en milliards d’ouguiyas!

II- LE PATERNALISME DIPLOMATIQUE
Bien que pour la Mauritanie les revendications territoriales et les blessures de la guerre du Sahara appartiennent au passé, il semble que ce n’est pas le cas pour le Maroc.
Dans ce pays, des sociologues et des intellectuels, y compris des journalistes, disent ici et là que la Mauritanie fait toujours partie du "Grand Maroc" et que la réalisation de celui-ci n’est qu’une question de temps. Cette position est caressée, miroitée, voire adoptée officieusement à travers des discours périphériques et une active propagande audiovisuelle sur les réseaux sociaux.
Des visites royales s’effectuent en grande pompe au Sénégal, avec des milliards d’investissements. D’autres semblables se font au Mali et dans les pays subsahariens. Comme si par hasard on essaie de placer un étau autour de la Mauritanie. Si bien qu’il est raisonnable de se demander qu’est ce que le Maroc attend de la Mauritanie …? Qu’elle reste dans le sillage de la diplomatie marocaine? Qu’elle abandonne sa position sur la question du Sahara Occidental? Qu’elle reste le maillon faible de la région dans le but de bipolariser le jeu diplomatique dans la région à seulement l’Algérie et le Maroc? Qu’elle s’évaporise tout bonnement de sa position géographique? Soyons sérieux et grandissons en tirant les conclusions de nos expériences! Il est temps pour le Maroc d'accepter le fait que les choses ne sont plus comme elles étaient.
Car, la Mauritanie a émergé des cendres des feux de sa mauvaise récolte avec le Maroc. Aujourd’hui, elle ose, s'assume, s'affranchit, s'auto-suffise, se positionne et surtout se décomplexe en fonction de ses besoins, de ses stratégies et des ambitions de son devenir. Elle n'a donc pas à se justifier pour les choix qu'elle fait dans ses relations avec les autres, puisqu'elle s'autogère aujourd'hui par "en dedans".
La Mauritanie comme maillon faible de la région, appartient au passé. Je dirais, à ce passé composé de beaucoup d'erreurs de jugement et de stratégie de la part du Maroc.
Si le Maroc en veut à la Mauritanie pour ses relations avec les sahraouis, eh bien il doit intégrer, une bonne fois pour toute, que mauritaniens-et-sahraouis sont des parents liés par les racines de l’espace, de la langue, de la culture, des valeurs sociales, de la religion et par-dessus tout, de l'Histoire de "Moujtamaa El'Bidhan": donc liés par un destin commun qu’aucune conjoncture ne peut mettre en cause, encore moins par un gouvernement mauritanien ballotté par une quelconque circonstance politique passagère!
C’est la raison pour laquelle, la Mauritanie a reconnu la RASD. C’est aussi la raison pour laquelle la Mauritanie soutient le droit du peuple sahraoui à s’autoderminer suivant les résolutions claires et sans équivoques des Nations-Unies, notamment la résolution 1514 de 1960.

III- CONCLUSION
Certes, tous les mauritaniens considèrent le peuple marocain comme étant un peuple frère, à qui ils sont très attachés et très liés par des rapports sociaux-économiques viscéraux tissés depuis des temps immémoriaux. Mais sous le poids de son histoire, le Maroc peine à trouver le juste équilibre avec "l’État-Nation" mauritanien. Peine à contrôler ses reflexes paternalistes, par moments impulsifs, dans ses rapports politiques et diplomatiques avec la Mauritanie. L’imposition de visa aux mauritaniens avec des coûts exorbitants en est la preuve irréfutable. La suppression de cette formalité consulaire serait sans aucun doute une mesure de confiance nécessaire et un gage de bonne volonté d’établir des relations de bon voisinage basées sur le respect mutuel. Espérons!

Maître Takioullah Eidda, avocat
Québec, Canada

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