1.12.09

Bravo l’artiste


Par Baba M. Sayed

Le roi du Maroc écume. Il est décidément fâché, très fâché, et il le fait savoir dans un discours prononcé, le 6 novembre dernier, à l’occasion de la « marche verte » qui a servi, l’on se souvient, d’écran de fumée à l’invasion militaire par les troupes marocaines du Sahara Occidental en 1975. De la manière la plus solennelle, bruyante et, pour tout dire gauche, pitoyable et maladroite, le roi décrète que les Sahraouis, bien qu’ils s’en défendent, sont des sujets marocains. Cette « sortie » de la part d’un roi dont le pays, faut-il le rappeler, a accepté de reconnaître, après avoir tenté d’imposer, en vain, par la force des armes au peuple sahraoui sa tutelle, que seule l’organisation d’un référendum d’autodétermination, libre, général, régulier et transparent, sous la supervision des Nations unies pourrait l’aider à sortir du bourbier sahraoui, est pour le moins surprenante et inattendue. Car affirmer, comme l’a fait le roi le 6 novembre, que le problème du Sahara Occidental est « une question d’existence [pour la monarchie] et non une question de frontières», et que désormais, « Il n'y a plus de place pour l'ambiguïté et la duplicité: ou le citoyen est Marocain, ou il ne l'est pas », ne peut être considéré, dans les faits, que comme une déclaration de guerre, en bonne et due forme, aux Nations unies, à leur Conseil de sécurité, à leur Secrétaire général et au Représentant spécial de ce dernier, et bien sûr aux Sahraouis.
Après tout, le roi a-t-il oublié que les inlassables efforts déployés par les Nations unies - depuis l’acceptation, en 1991, par les deux belligérants , le Front Polisario et le Royaume du Maroc, du cessez-le-feu - en vue de réunir les conditions nécessaires d’un référendum d’autodétermination qui permettrait au peuple sahraoui de choisir entre l’indépendance et l’annexion de son territoire au Maroc n’ont-ils d’autre objectif, aider la communauté internationale à définir définitivement le statut du Sahara Occidental et partant, éclairer les Sahraouis sur leur devenir ? Ou le roi a-t-il cru, subitement, qu’il peut, d’autorité et par oukase royal, se substituer aux Nations unies et au peuple sahraoui et définir, comme il l’entend, le statut et l’avenir du pays des Sahraouis ? Mais alors où était Mohamed VI quand son père, sûrement plus intelligent et plus opiniâtre que lui, a avoué l’échec de son entreprise coloniale[1] au Sahara Occidental, et ce, après avoir mobilisé, pendant des décennies, les ressources et les moyens humains et matériels du Makhzen, pour l’imposer, de force, aux Sahraouis et la faire accepter par la communauté internationale ?
En réalité Mohamed VI, néophyte en politique, en même temps qu’il hérite du Maroc et de son trône, a pris conscience des sérieuses difficultés qui se dressent sur son chemin. Soucieux de se débarrasser du lourd héritage de son père et déterminé à projeter de lui et de son régime une image sympathique, a cru, à tort, qu’il pourrait tromper tout le monde et tout le temps. Tromper les Marocains en leur donnant l’illusion, à travers quelques signes d’ouverture bien limitée et quelques réformettes (révision du code de la famille, la possibilité accordée à certains journaux et magazines indépendants d’exister…etc.,) que le Makhzen a rompu avec les pratiques autoritaires du régime de Hassan II. Et tromper les Sahraouis en leur servant, directement et à travers ses représentants dans les zones occupées du Sahara Occidental, un discours qui consiste à leur faire comprendre, à l’image d’un de Gaulle, qu’il les a compris.
Dix ans après, Mohamed VI a été le premier à comprendre que sa stratégie a été un fiasco. Non seulement, il n’a réussi à tromper les Marocains et les Sahraouis qu’un temps, mais, fait plus grave, le bateau-Makhzen commence à prendre l’eau de toutes parts.
Les Marocains se sont progressivement rendus compte que Mohamed, loin d’être un démocrate ou un roi moderne, n’est en réalité qu’un despote débonnaire qui fuit ses responsabilités politiques dont il se décharge sur ses amis de classe et dont le seul souci est de faire constamment la fête et de s’enrichir sur leurs dos. Et les Sahraouis qui ont pris, avec le temps, conscience que le projet d’autonomie interne que leur propose le roi n’est qu’un traquenard à éviter, ont acquis, décidément, la conviction que leur avenir et celui de leurs enfants ne peut-être garanti que dans le cadre d’un État indépendant et souverain.
Sentant les dangers l’assaillir de tous les côtés, le roi ne trouve rien de mieux à faire pour se protéger et protéger ses intérêts et son trône que de renouer avec les pratiques médiévales qui étaient en vigueur du temps de son père, faire taire, y compris par le recours à la force brute, toute forme de dissidence et de contestation, au Maroc tout comme au Sahara Occidental.
Si la nouvelle stratégie royale du « tout sécuritaire » semble, du moins jusqu’à présent, ne pas susciter beaucoup de résistance à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du Maroc, au Sud et dans les zones occupées du Sahara Occidental, elle nourrit une réelle révolte au sein d’une population qui n’accepte plus de se voir traîter avec désinvolture et mépris.
La nouvelle génération de résistants sahraouis à l’occupation militaire du Sahara Occidental par le Maroc (Aminatou Haidar, Ali Salem Tamek, Adagja, Brahim Dahan, Al Ghalia Jimy, Al Arabi, Daha, et bien d’autres) qui a eu le courage et l’intelligence de diriger, au cours des dernières années, à partir des zones occupées de la République Arabe Sahraouie Démocratique, l’intifada en ayant recours à une variété de moyens et de méthodes pacifiques aussi simples qu’ingénieuses, et par lesquelles elle a pu mettre en échec les politiques coloniales du Makhzen a, d’ores et déjà, montré qu’elle n’entend pas se laisser impressionner ni décourager par la politique de terreur annoncée par Mohamed VI le 6 novembre dernier dans son discours.
Révoltée par l’injustice caractérisée que fait subir le Makhzen à son peuple, en général, et à ses sept compagnons sahraouis en particulier, enfermés dans l’insalubre prison de Sala (au Maroc ) dans l’attente d’être traduit devant un tribunal militaire, compagnons dont le seul crime est d’avoir rendu visite à quelques-uns de leurs parents et proches dans les campements de réfugiés dans le Sud-ouest de l’Algérie, Aminatou Haidar a décidé, malgré sa santé précaire, de monter à l’assaut de la citadelle marocaine. Elle s’est rendue aux États-Unis, après avoir visité plusieurs pays africains et européens, pour alerter l’opinion publique internationale sur les graves et systématiques violations des droits de l’homme dont se rend quotidiennement responsable l’ADMIINSTRATION COLONIALE MAROCAINE au Sahara Occidental, au vu et au su de la Mission des Nations pour un Référendum au Sahara Occidental (MINURSO).
De retour à l’Aaiun (capitale du Sahara Occidental), lieu de sa résidence, les autorités coloniales marocaines essaient d’obtenir d’elle ce qu’elle a toujours refusé d’admettre ou d’accepter, y compris durant ses longues années d’emprisonnement, la marocanité du Sahara Occidental. Au terme d’une nuit d’interrogatoire serré à l’aéroport de l’Aaiun, elles décident, avec la complicité du pouvoir socialiste espagnol, de la mettre, de force, dans un avion espagnol et de l’exiler vers l’île espagnole de Lanzarote. Attitude révoltante qui fait réagir Aboubakr Jamaï, l’une des figures emblématiques du courant démocrate au Maroc et l’une des plumes les plus prestigieuses au Maghreb qui signe un éditorial retentissant dans le Journal Hebdo [2] sous le titre non moins retentissant, une stratégie stupide. Ce qu’ont fait « les autorités marocaines à l’activiste sahraouie Aminatou Haidar est illégal, immoral et stupide. Illégal parce que contrevenant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, que le Maroc a dûment signé et ratifié. Ce pacte implique que « nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. »(Article 12m alinéa 4). Immoral parce que ce régime éloigne, contre son gré, une femme du lieu où elle et ses enfants ont toujours vécu. Nous séparons une mère de famille de ses deux enfants. […] la stupidité de l’attitude des autorités [marocaines] réside dans le fait qu’en violant les droits fondamentaux des indépendantistes, elles promeuvent justement l’idée de l’indépendance. » [3]
Bien que profondément bouleversée, 33 ans après la signature des Accords tripartites de Madrid par lesquels l’Espagne a permis au Maroc et à la Mauritanie de se partager le Sahara Occidental, son peuple et ses richesses, par la complicité du pouvoir socialiste espagnol avec le Makhzen, la Ghandi Sahraouie n’est pas du genre à se laisser abattre ou décourager par les difficultés du moment quelles que soient, par ailleurs, leur importance et leur nature. Une fois débarquée à Lanzarote, elle décide de se consacrer à ce qu’elle sait le mieux faire, organiser la résistance, en faisant de l’Aéroport de la ville son QG.
Grâce à son inébranlable détermination et à ses incessants efforts, Aminatou Haidar a su avec maestria transformer la difficulté en réussite. Malgré une santé fragile et la souffrance engendrée par de nombreuses maladies contractées lors des dures et longues années de prison au Maroc dans des conditions insalubres, elle a réussi à montrer aux démocrates marocains que la liberté de leur pays est décidément conditionnée par l’émancipation du Sahara Occidental du joug du Makhzen. Elle a également réussi à attirer l’attention du monde sur la complicité du pouvoir socialiste espagnol avec le pouvoir colonial marocain et apporter la preuve irréfutable et continue du bien fondé et de la justesse de la lutte de son peuple contre les autorités coloniales marocaines.
Par sa détermination et son courage exemplaires, l’artiste Aminatou Haidar a pu gagner de nouveaux amis et sympathisants à la juste cause du peuple sahraoui et démontrer au monde que la nouvelle stratégie de la peur et de la terreur que Mohamed VI compte mettre en œuvre au Sahara Occidental, avec le concours de son armée, de la police, des différents corps des services de renseignement et de harkis, dans l’espoir d’asservir définitivement les Sahraouis et leur pays, est devenue, d’ores et déjà, grâce à ta détermination et à celle de tes compagnons de l’intifada, un pétard mouillé.
Face à ceux qui croient encore pouvoir t’humilier et humilier ton peuple, tu as montré qu’en tentant l’exercice, ils se font humilier eux-mêmes et en direct devant le monde entier.
Bravo l’artiste

Baba M. Sayed
30.11.09
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[1] Hassan a reconnu, quelques années avant sa mort, que Le Maroc n’a pas conquis les cœurs des Sahraouis. D’où son acceptation tardive de l’organisation au Sahara Occidental, sous l’égide des Nations unies, d’un référendum d’autodétermination comme unique possibilité de définir le statut et l’appartenance du territoire
[2] Voir le Journal Hebdo du 21 au 27 novembre 2009, p. 4
[3] Ibid.

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