8.3.11

La fin de l’exception arabo-musulmane

par Baba M. Sayed

Au tournant du siècle dernier, la démocratie semble avoir réalisé, dans plusieurs parties du monde, outre les périmètres de l’Europe occidentale, du Canada et des États-Unis d’Amérique, des avancées notables, voire irréversibles. C’était particulièrement le cas, ces dernières décennies, en Asie du Sud Est, en Europe de l’Est, en Europe du Sud et en Amérique latine. Cette dynamique de démocratisation a, paraît-il, accentué, partout où elle a pu prendre racine, la crise de régimes considérés comme dictatoriaux et a souvent entraîné leur disparition (1).
Exclue de ce qui semble être un inexorable processus planétaire de démocratisation général, une partie entière du monde, en l’occurrence l’aire arabo-musulmane, semble décidée à se tenir à l’écart de ce qui semble pourtant être une dynamique planétaire irrésistible.
Devenue apparemment une terre de prédilection pour des régimes autoritaires, l’aire arabo-musulmane a fini, de manière surprenante, par se singulariser du reste du monde et par acquérir, comme le relève Ghassan Salame, le statut peu enviable d’une zone d’exception : « la revendication démocratique, sur l’ensemble arabe, paraît relativement faible, certains allant jusqu’à affirmer que les Arabes ont exprimé, au cours des trois ou quatre décennies passées, une « attente de démocratie » qui serait bien plus faible que celle d’autres ensembles géo-culturels à travers le monde (2). »
La rotation pacifique par la voie électorale dans tous les pays de la région arabe ne concerne, écrivent Sarah Ben Néfissa et Alâ’ Al-Dîn Arafat, que « le personnel parlementaire, sénatorial, municipal, etc., et exclut les plus hauts dirigeants politiques. Bien au contraire, ceux-ci ne quittent le pouvoir que par la violence interne (coup d’État ou assassinat) ou externe (comme en Irak actuellement) et certains sont de plus en plus tentés de transformer leurs mandats républicains en mandats « héréditaires »(3) .»
En effet, à l’orée du XXIe, la presque totalité des pays arabes et musulmans (4) continue de subir le joug de l’arbitraire et de la force imposés par des régimes autoritaires qui, comme le relève Burhan Ghalioun, se sont employés en plus de réprimer toute manifestation de liberté, d’annihiler toute alternative à leur pouvoir (5) .
Partout dans cette aire arabo-musulmane, et à quelques rares exceptions, les libertés fondamentales, aussi bien privées que collectives, semblent sinon inexistantes du moins systématiquement et publiquement bafouées, et ce, chaque fois que les pouvoirs en place les jugent préjudiciables ou incompatibles avec leurs intérêts. Ce qui est, par ailleurs, souvent le cas. Plus grave, les États arabo-musulmans semblent devenus, dans leur majorité, les propriétés exclusives des rois, des émirs ou des présidents autoproclamés (6) , qui selon de nombreux spécialistes (7), sont résolus à monopoliser, ad vitam aeternam, le pouvoir et ne reconnaître, en règle générale, à leurs « sujets » contraints ou résignés qu’un seul et unique droit, celui d’obéir au doigt et à l’œil (8) : « L’État ne se distingue pas de la personne du monarque…l’État est la personne magnifiée du monarque tout autant que le monarque est l’incarnation de l’État (9). » Et le professeur Laroui de conclure que « le monde arabe vit sous un État patrimonial pur dans lequel le monarque possède tout et exige soumission de tous (10). »
Constat grave s’il en est, que semble partager, à sa manière, Burhan Ghalioun qui, après avoir souligné « la désertion de l’État national par les masses dès les années soixante-dix, avec pour corrélation, l’effondrement des idéologies nationalistes et socialistes, la démoralisation des élites sociales agissantes au sein du gouvernement ou dans l’opposition (11)», n’hésite pas à affirmer catégoriquement que cet échec enregistré par l’État moderne dans les pays arabo-musulmans l’a vidé de « sa substance politique, dans la mesure où il a fait dépendre la reproduction du pouvoir quasi entièrement de l’accroissement de la répression (12). »
De manière générale, dans la zone arabo-musulmane, si l’on suit le raisonnement de certains milieux spécialisés (13), les élections qui ont été organisées dans la plupart des pays arabo-musulmans ces dernières années, souvent à grand renfort de publicité, n’étaient, la plupart du temps, que farces et mascarades, de même que les institutions politiques (parlement, justice…etc.,) qui y sont en vigueur ne sont, en réalité, qu’un décor en trompe-l’œil.
Dans la plupart des pays arabo-musulmans, toute forme d’opposition aux régimes autoritaires arabo-musulmans, est considérée, selon Bassama Kodmani-Darwish, comme une manifestation inacceptable d’ « insubordination » au chef et un acte de défi, impardonnable et intolérable (14).
Contents de pouvoir utiliser jusqu’ici les despotes arabes comme boucliers pour garantir la sécurité, aussi bien géopolitique qu’économique, de leurs pays, certains responsables occidentaux se sont progressivement montrés convaincus, certainement pour excuser leur aveuglement politique et leur impardonnable indifférence aux souffrances indicibles des peuples arabes et musulmans des décennies durant, que « chez ces peuples il y a une réelle inclination à la servitude (15). »
Avec le séisme auquel l’on assiste, depuis le soulèvement de Agdaim Izik (au Sahara Occidental occupé), les révolutions tunisienne et égyptienne, dans toute l’aire arabo-musulmane, la preuve est aujourd’hui apportée de ce qui a été considérée comme une exception arabe et musulmane. Et avec la levée de cette hypothèque la preuve est aussi administrée, et de la manière la plus claire - combien de souffrances inutiles aurait-il fallu par le passé et de sacrifices à l’avenir pour prouver une telle évidence ?- qu’aucune nation ni aucune culture n’a le monopole du « bien vivre » dignement et librement. Et que les peuples, tous les peuples y compris ceux se réclamant d’une culture arabo-musulmane, ont en commun un rejet viscéral du despotisme et de la servitude et une commune et légitime aspiration, par ailleurs tout à fait humaine, à la vie digne et libre(16) .
06.03.11

Notes


[1] Salame, Ghassan, « Sur la causalité d’un manque : Pourquoi le monde arabe n’est-il donc pas démocratique ? », Le Caire, Éditions du Centre d’Étude et de Documentation Economique, Juridique et Sociale (CEDEJ), démocratie et démocratisation dans le monde arabe, 1992, p. 49
[2] Ibid
[3] Ben Néfissa, Sarah et Arafat, Alâ’ Al-Dîn, Vote et démocratie dans l’Égypte contemporaine, Paris, Éditions Karthala, 2005, pp. 17-18
[4] Sur les vingt-cinq pays qui se réclament aujourd’hui de l’islam, c’est seulement en Malaisie, en Indonésie et, d’une certaine manière, en Turquie et en Algérie que des élections, pluralistes et relativement transparentes, ont eu lieu ces dernières années. Les autres pays continuent de croupir sous le joug de dictatures qui les privent des droits les plus élémentaires. Voir, pour plus de détails à ce sujet, le numéro spécial de la revue française d’études constitutionnelles et politiques, Pouvoirs, n0 12, Éditions Presses Universitaires de France, 1980
[5] Ghalioun, Burhan, Le malaise arabe, l’État contre la nation, Paris, Éditions La Découverte, 1991, p. 73
[6] « Par manque de sérieux ou de maturité, par irréalisme ou par ignorance, le pouvoir politique (dans les pays arabo-musulmans) a trop souvent dilapidé les richesses et épuisé les forces vives de la nation, sans se soucier de développement véritable. Pis, il a corrompu le peuple pour ne pas avoir de compte à lui rendre à court terme au moins, c’est-à-dire du vivant du gouvernement. » Al-Ashmawy, Muhammad Saĩd, L’islamisme contre l’islam, Paris, Éditions La Découverte, 1989, p. 23.
[7] Leveau, Rémy et Hammoudi Abdellah (sous la direction de), Monarchies arabes, transitions et dérives dynastiques, Paris, Éditions la documentation française, 2002
[8] Accusant les élites aux commandes dans les pays musulmans d’avoir délibérément occulté et ignoré l’éthique de justice et d’équité contenue dans le message islamique, Mustapha Hogga relève que « Le Coran a été bien plus souvent évoqué ( par ces mêmes régimes) pour obtenir l’obéissance des peuples que pour mettre en œuvre l’esprit de justice sociale et de liberté individuelle qui le caractérisent» et pourtant, conclut-il, « L’islam a horreur du pouvoir sur autrui et il est inconcevable et pourtant vrai qu’au nom de l’islam, les régimes les plus féroces ont pu être fondés.» Hogga, Mustapha, Pensée et devenir du monde arabo-islamique. Valeurs et puissance. Paris, Éditions L’Harmattan, 1997, p. 27
[9] Laroui, Abdellah, Islam et modernité, Paris, Éditions La Découverte, 1987, p. 29
[10] Ibid., p. 32
[11] Ghalioun, Burhan, Le malaise arabe, l’État contre la nation, op. Cit., p. 105
[12] Ibid
[13] Voir, entre autres, Lahbabi, Mohamed, Les années 80 de notre jeunesse, Casablanca, Éditions maghrébines, 1970
[14] Kodmani-Darwish, Bassama, Chartouni-Dubarry, May (sous la direction de), Les États arabes face à la contestation islamiste, Paris, Éditions Armand Colin, 1997, p. 21
[15] Déclaration de Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères, à antenne2 le 4 mars 2011
[16] Dans le prochain article, je livrerai aux lecteurs d’Arso mon point de vue sur « l’état des lieux » au Sahara Occidental

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11 comentarios:

Anónimo dijo...

nos puedes decir donde estas e a que va eso.

Abdalla dijo...

Buena reflexión y bien documentada.No hay duda del talante del autor,pero sí sorprende su tira y afloja con los dirigentes del Polisario.Has intentado no ser el protagonista de las ideas reflejadas en tu opinión,porque se los atribuyes a autores que señalas en el final del comentario.Has hablado de la falta de libertad y el autoritarismo en muchos paises árabe-musulmanes y creo que por tu condición política no has podido mencionar lo que pasa en los campamentos.Creo que la sociedad saharaui árabe-musulmana necesita la democracia y un cambio político,Ésto no puede llegar a realizarse si algunos de nuestros mejores cerebros están siendo atacados por la clase ignorante y los otros no se atreven expresar libremente su opinión porque tienen miedo al poder.Abdalla

Anónimo dijo...

Al Sr. Abdalla,
Por que no mencionas tu lo que pasa en los campamentos? que quieres insinuar? en los campamentos existe desde hace mucho tiempo (antes incluso que la perestroika) la libertad de expresion, no hay opresion ninguna y el voto es un derecho de todos...
nuestro problema es que nuestra patria sigue ocupada y nuestros hermanos siguen oprimidos, por eso debemos tener eso encuenta y no permitir que nadie nos distraiga de la lucha por la liberacion.
El articulo es bueno y damos la bienvenida a nuestro hermano y compañero Baba.
!Muerte al Tirano Mohamed VI Invasor y Sanguinario!

Anónimo dijo...

El tercer comentarista de donde viene,la libertad de expresion y el voto libre en los
ampamentos..eso es de mucha risa.
!Muerte al Tirano Mohamed VI Invasor y Sanguinario y que se marche el eterno otro Mohamed ABD.

Abdalla dijo...

Para el comentario nº 3, en los campamentos hay una pandilla de viejos dirigentes encabezados por el presidente M.abdealaziz que llevan más de treinta años soldados a unos sillones que no quieren dejar.No dices la verdad porque si tuvieramos libertad y democracia no estaríamos en la misma situación actual y tener que soportar comentarios como los tuyos antiguos y sin fundamento.Claro que bienvenido al Baba defensor de los saharauis, no al Baba defensor del presidente.
!muerte al tirano MohamedVI sanguinario e invasor!

Anónimo dijo...

De ese tiempo que dices que lleva soldado al poder cuentas el tiempo que estubo soldado a su fusil y luchando en el frente de combate?
Claro que digo que tenemos libertad de expresion y afirmo, ademas, que la hemos obtenido antes de muchos paises y antes de la perestroika! yo te reto a ti y aquien sea a que nombre a alguien a quien se le haya molestado por expresar su opinion en los campamentos. y eso que existen quienes se aprovechan de ese derecho para decir mentiras y simplemente tonterias..tu dices que si tuvieramos democracia no tendriais que soportar comentarios como el mio!! menuda democracia quieres implantar! mis comentarios los hago con respeto y con argumentos aun cuando escriba anonimamente. El comentario que hice el 3 lo hice porque insinuabas que somos como esas dictaduras arabes. Esas son similares e incluso identicas a nuestro enemigo y por eso lo ayudaron desde el comienzo del conflicto hasta que cayeron...hay que leer la historia como es y no intentar trocar valores de forma tan flagrante..nosotros somos vanguardia en la lucha por la libertad, nosotros somos Gdeim Izik, teneis que saber quienes sois y que es lo que quereis porque como bien dijo un sabio "El comienzo de la sabiduria es saber quien es uno mismo"
y espero que sigas aguantando mis comentarios porque en democracia tienes que soportar a todos incluso unos tan pesados como los mios...Saludos democraticos

Abdalla dijo...

No tengo ningún problema en soportar tus comentarios, lo que no voy hacer es callarme frente a algunas de tus afirmaciones falsas.
No discuto contigo la hazaña que han hecho algunos de los dirigentes del Polisario porque es historia del sahara y les honra,pero son nuevos tiempos y tienen que irse a sus casas dejando el puesto a gente joven que seguramente entrarán en la historia saharaui dentro de años.El comienzo de la sabiduria es desterrar lo antiguo y cambiar las cosas para ir a mejor.Te sigo diciendo que no somos vanguardia en nada,no hay democracia, ni libertad en los campamentos.Todos aquellos que participaron en la manifestación del 05/03/2011,el polisario les ha abierto un expediente disciplinario,si esto es democracia para tí apaga y vamonos.El fusil lo han tenido muchos saharauis honrados que han muerto por la causa y han dejado a viudas e hijos en la miseria, mientras los que defiendes tú sus hijos están en toda España disfrutando a costa de todos los saharauis.

Saharaui dijo...

Más que el articulo en si llama la atención los ciclos huracanados del fenómeno del NIÑO (Baba ) que aparece de vez en cuando, de congreso en congreso, con sus sutiles artículos, que innegablemente suelen ser una delicia de buenos, con carácter evasivo, indirectos, bastante interesados, con un fin inequívocamente personal.

Anónimo dijo...

baba, sigue adelante pero por favor no te vendas,lidera este proceso de cambio y veras como estaremos detras tuya para la regeneración,loque dicen algunos aqui de que hay libertad de expresión, es una garan falacia, libertad de expresión en las jaimas eso es lo que existe, y eso está en todos los paises hasta en core del norte,la verdadera libertad de expresión tiene que estar reflejada en que haya instancias o medios de comunicación legales para ello...alibuya

Anónimo dijo...

Abdalla,
quien sigue haciendo afirmaciones falsas eres tu mira:
dices "no hay democracia ni libertad en los campamentos" cuando en el comentario anterior yo te retaba a que me cites algun ejemplo de falta de libertad de expresion.
Afirmas que a los jovenes se les "abierto un expediente disciplinario" a mi no me gusta utilizar estos adjetivos pero eres un mentiroso! eso si que es falso! esos jovenes llevan mucho tiempo gozando de la libertad de expresion y lo hacen desde instituciones saharauis y utilizan medios del Frente POLISARIO para decir lo que quieren en futuro saharaui y jamas se les dijo lo minimo! cuando una persona reitera mentiras existe algo de mal intencion...y tu lo haces a menudo.
Asi que la sabiduria segun tu dices es "desterrar lo antiguo"! empieza por desterrar la escritura que ya es un poquito antigua y asi no tendremos que leer los disparates que escribes!

Abdalla dijo...

Veo que sigues los pasos de tus amos, quieres imponernos lo que quieras y niegas tajantemente sin estar en el sitio lo de la juventud que hicieron una manifestación.Sigues afirmando que hay libertad y mientes.El polisario no puede eliminar lo del futuro saharaui porque ganas tiene de hacerlo y lo ha intentado muchas veces.El único que ve democracia y libertad en los campamentos eres tú porque te lo permiten los dirigentes que seguramente eres de los que manejan bién la ceremonia del té y el buen asado para recibirlos.Tu sabiduria es tan corta que no sobrepasa el círculo de rabuni.